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  • audreyranchin

Une nuit seule en forêt

On s'est quittées sur le mot "dépassement". J'avais très peur. Depuis l'annonce l'après-midi d'une nuit sans lune. Chacune s'est dispersée à la recherche d'un coin à soi, pour passer la nuit seule en forêt. Je ne trouvais rien qui me plaisait. On s'est recroisées les unes les autres, allant et venant, enjambant, dans cette forêt, à la nuit tombée, à la recherche d'un lieu parfait, pour nous. Il fallait trouver un endroit plat, "propre" mais pas trop pour ne pas être sur le chemin d'une course de sangliers... Finalement un arbre m'a fait de l'œil. Il avait une assise très large, disproportionnée par rapport au reste du tronc plus haut. Il ressemblait à une pierre tombale. J'ai voulu être près de lui. Je me suis installée dans une espèce de tunnel fait de branchages d'arbres différents se chevauchant, s'enchevêtrant me créant un toit pour la nuit. Je n'avais en effet pas voulu prendre de bâche plastique prévue pour chacune de nous en cas de pluie. Le plastique détonait avec mon projet de reconnexion à la nature. Mais je n'avais pas accès au ciel.


J'ai ressenti dans la journée une certaine fatigue et je me languissais de pouvoir me reposer. D'être seule aussi, après une après-midi collective. Une fois mon coin de nature trouvé, je m'installais vite allongée sur mon matelas. Je retirais quelques bouts de bois dans mon dos. Aplanissais ma couche. J'enfilais ensuite ma tenue de nuit, legging et grosses chaussettes. L'attaque massive de moustiques malgré les pschitt pschitt d'avant le départ, m'encourage alors à m'enfiler rapidement dans le duvet. Mon visage assailli par les piqûres et mes oreilles par le bbzz des moustiques, j'ajoute sur ma tête mon sweat-shirt.



La pénombre s'installe avec son cortège de peurs mais je suis ensorcelée par de superbes chants d'oiseaux. Ma nuit a été rythmée de différentes séquences sonores entre chaque période d'endormissement peuplée de cauchemars. J'avais pris avant de partir un comprimé d'antihistaminiques, just in case. Mais après coup je me demande si je n'ai pas pris par erreur un autre type de comprimé, tellement j'ai été comme à demi consciente cette nuit-là, perdue entre rêve et réalité.

Chaque séquence sonore correspond à un réveil. Et à chaque réveil, j'ouvrais les yeux, pour vérifier, si la nuit était définitivement tombée, si la nuit était encore là, et encore là, et encore là..


Jusqu'à ce que mes yeux découvrent le jour se lever, le jour attendu toute la nuit comme le messie, tellement la peur me paralysait.


Je me figure telle une ninja avec seulement les yeux qui dépassaient du sweat. Calfeutrée, pour me protéger. J'ai le sentiment d'avoir dormi plus que d'habitude. Comme pour m'échapper du lieu. Un peu idiot quand on vient pour se reconnecter !

La séquence sonore numéro deux, après les bruyants chants d'oiseaux, c'est un silence assourdissant.


Le noir est là...



Je me rendors...



Une troisième séquence, je dirais le bruit du vent. Le bruit semble venir de ma gauche. Je ne vois rien. J'imagine le vent. Puis un drôle de bruit, comme de la pluie. Je suis désorientée. Le bruit ne correspond pas à une sensation. Je sors les bras de mon duvet, je le tâte de bas en haut, je touche mon visage. Rien. Je ne suis pas mouillée. Aucune goutte. Est-ce vraiment la pluie ? J'apprends le lendemain qu'il a effectivement plu un petit peu. Ma toiture verte faite de branches et de feuilles avait été efficace. J'avais bien choisi ma couche.


Il y a eu de l'orage aussi parait-il. Tonnerre lointain et éclairs. Je n'ai rien vu ni entendu. J'ai eu des périodes de sommeil où je dormais comme une souche. Mais l'expression juste serait plutôt comme une bûche (profondément), comme une souche supposant surtout l'immobilité – ceci dit j’étais paralysée par la peur, je ne risquais pas de bouger !


Nouvelle séquence.


Noir. Un cri.



Bizarre. J'imagine une chouette mais ne reconnaît pas vraiment ce cri rauque. Le son est d'abord très proche, fort, puis s'éloigne en s'atténuant, encore et encore. Puis plus rien. C'était assez effrayant, dans le noir, ne pas savoir de quoi il s'agissait. J'apprends le lendemain qu'il s'agit du cri du chevreuil, une sorte d'aboiement.



A deux reprises, dans un demi-sommeil, j'ai senti quelque chose me pousser l'épaule gauche. Je ne saurais jamais si cela était un rêve ou la réalité, et dans ce dernier cas, qu'est-ce que cela pouvait bien être ?? Je ne me suis pas relevée pour regarder, de toute façon il faisait si noir. Au contraire, je me recroquevillais dans mon duvet en suppliant que ça s'arrête. Duvet de mon compagnon dont l'odeur, au milieu de la forêt et de mes peurs, me rassurait.


Dernière séquence. Ouverture yeux.



Le jour se lève accompagné de chants d'oiseaux hallucinants de puissance, vivacité, symphonie et de cacophonie.


Un concert philharmonique en guise de radio réveil. Le jour levé, tout mon corps s'est détendu, c'était fini. La peur est partie avec la nuit. Je me suis levée pour faire pipi. Mes chaussures étaient humides, j'ai vérifié l'intérieur avant de les enfiler, avec mes doigts, et j'ai découvert une chose gluante.. une limace !! J'ai quitté mes chaussettes et je suis allée faire pipi pieds nus.


Rallongée, apaisée, je me suis lourdement et sereinement rendormie.


A l'appel du loup, cri de ralliement de notre équipée, je dormais si bien. Je voulais encore en profiter, loin de la charge parentale, une grass'mat en forêt.. Je n'avais aucune idée de l'heure. Le cri du loup a battu le rappel et j'ai dû replier mon petit campement. Tout est allé très, trop vite, je n'ai pas pu prendre le temps de contempler, explorer, l'endroit où j'avais vécu cette expérience hors du commun.


Entre mon duvet et le matelas, encore une limace. Sur mon sac à dos, posé à ma tête, cela grouillait de larves, d'insectes et autres bestioles. J'ai du le secouer. Sensation de déguerpir !


En résumé, moi qui milite pour l'humusation.. j'ai eu l'impression d'être humusée vivante ! Un arbre tombal, un lit de feuilles et de petits bois, un ciel de branches et de feuilles, des insectes grouillants.. Pas très engageant !

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